Comment aurais-je pu penser que cette académie était un repère de créatures surnaturelles ? La Rainbow Académy, si belle, si grande… Comment aurait-on pensé cela ? Et puis, surtout. Que faisaient toutes ses créatures dans un seul et même endroit ? Était-ce une sorte de… Quartier Général ?

Je cachai mes yeux avec mon coude, allongée sur mon lit. Cela faisait plus d’une heure que je fixais le plafond sans pour autant réussir a avoir les paupières lourdes. Que pouvais-je faire d’autre ? Écouter de la musique. J’attrapais mon casque audio, et le mis sur mes oreilles. Le rythme de la musique n’allait sans doute pas m’endormir.

Je m’habillais avec mon uniforme posé sur une chaise, et sortis doucement dans le couloir. Nous avions interdiction de nous balader dans les couloirs après le couvre-feu, je le savais bien. Seulement, c’était une habitude d’aller me frotter aux interdits. Au cas-ou, je laissai mon casque pendre à mon cou, et glissai mon lecteur dans une de mes poches.

Je descendis les escaliers menant aux dortoirs, une main légère posée sur la rambarde. J’arrivais au rez-de-chaussée. Je passai devant la salle de sports. Je poussai un petit soupir. J’aimais le sport. J’espérais que le prof de sport ne serait pas aussi… sadique qu’un vampire puisse l’être. Bien entendu, je sens que je vais adorer venir en cours de sport. Quoi de mieux pour se défouler ?

Je poursuivis mon chemin, passant par l’entrée du bâtiment. Je pris soin de refermer la porte derrière moi. Ensuite, je longeais le jardin. Il n’y avait pas de grandes barrières, comme je m’y attendais. J’avais entendu qu’un sortilège -un autre- faisait perdre la mémoire aux personnes franchissant les grilles. Je me demandais si c’était vrai. Mais si ça l’était, comment les élèves qui vont en ville réussiraient à revenir ? Est-ce qu’on nous laissait juste assez de mémoire pour nous rappeler qu’on vivait ici ?

Je regardais le monde extérieur. Si j’arrivais à partir, que ferais-je ? J’étais bien trop loin de chez moi pour pouvoir y aller à pieds. Je soupirais une nouvelle fois. J’attachai mes cheveux en une queue-de-cheval haute, puis commençais à grimper à un arbre non loin. J’observais l’horizon. On voyait la ville non-loin, les collines un peu plus en hauteur. Mais rien d’autre. De toute façon, ce n’était pas dans ce noir que je pourrais trouver mon chemin. Il faudrait sans doute que je revienne ici de jour.

Mes pensées firent interrompues par des bruits de pas. Elles étaient assez légères et feutrées. Je m’agenouillais sur la branche d’arbre où j’avais élu domicile pour le moment, et attendis.

Les pas se rapprochèrent de plus en plus. Et ils se dirigeaient vers moi. Bien entendu, ça devait être un vampire, attiré par mon odeur. L’adrénaline commença à circuler dans mes veines. J’avais bien entendu peur, c’est normal après tout, mais je savais me contrôler. Et je savais aussi à quoi j’avais affaire, ce qui aidait énormément.

La personne s’adossa à mon arbre. Depuis ma hauteur, je pus voir un homme. Il avait l’air plus âgé que les élèves, c’était donc un professeur, ou autre chose de ce genre. Un vampire. Et évidemment que je ne devais pas être ici. Il était la raison de cette interdiction par ailleurs –entre autres. Je me laissai tomber de ma branche, amortissant ma chute en pliant les jambes, de sorte que je ne m’étale pas par terre, mais atterrisse sur un genou, l’autre jambe pliée. En me relevant, je remarquai ses yeux bleus.

« Pas besoin de faire du chantage pour me faire descendre, vous savez. »

Je me mis en face de lui, pour lui montrer que je n’avais pas si peur que ça de lui. Après tout, si l’académie était maintenue en ordre même avec des vampires, c’est qu’ils étaient tenus en laisse.

« Puis-je vous poser une question ? »

N’attendant aucune réponse, je poursuivis sur ma lancée.

« Pourquoi a-t-on réunis les vampires ici et non ailleurs ? »

Cette question m’avait traversé l’esprit tout à l’heure. Et puis, c’était une question intéressante. Qu’avait cet endroit de si particulier ? A mes yeux, il n’avait rien d’exceptionnel –si on tire un trait sur le fait qu’il est dirigé par un fantôme, qu’il y a des zombies comme surveillants et que les professeurs sont des vampires, bien entendu.

Je pris le temps de l’observer. En dehors de ses yeux bleus, il avait aussi un visage assez beau, pour ne pas dire très beau. Pendant sa période d’humain, il avait dû avoir de nombreuses conquêtes, à moins que ça ne l’intéressait pas plus que ça. Plus grand que moi d’une tête au moins, il semblait sportif. Quel prof était-il ?

« Vous êtes professeur de quoi ici ? »

J’avais parlé comme s’il était humain, oubliant une tâche rouge qu’il avait dû oublier après son dîner. Sans doute avais-je fait une faute, peut-être allait-il me le rappeler. Me rappeler qu’il n’était pas mon égal, mais supérieur à bien des côtés.

Je ne me trouvais pas insolente, au contraire. Plutôt polie. Après tout, on m’avait éduquée comme cela. Ce n’est pas un professeur –même vampire- ne pourrait me faire changer d’avis. Et de comportement, bien sûr. Mais d’un autre côté, le changement ne faisait pas de mal –logiquement. Je le fixais, presque intriguée par ce drôle de personnage.

« Peut-être suis-je insolente, mais vous, vous devriez apprendre la politesse. Quand on parle à quelqu’un, on le regarde. »

J’avais clairement été insolente sur ce coup là. Mais après tout, si quelqu’un fait la morale, il devrait être irréprochable dans son comportement. Or, ce n’était pas le cas. D’ailleurs, je ne me souviens pas d’avoir toujours été aussi à cheval sur ces choses-là. Avant, je n’aurais pas fait tout ce blabla. Je me serais écrasée, puis je serais partie. Mais là… j’éprouvais le besoin de ramener ma fraise. Peut-être était-ce à cause de l’adrénaline qui coulait dans mes veines, ou bien le fait d’avoir complètement changé de vie. Se retrouver du jour au lendemain à vivre avec des vampires, un fantôme et des zombies ne peut que laisser quelques séquelles. Non ?...

Le professeur ne semblait pas vouloir me répondre davantage. Pourtant, ne nous avait-on pas appris, tous autant que nous sommes, que nos professeurs étaient là pour répondre à nos questions et nous aider dans nos lacunes ? C’était assez ironique à mon goût. En changeant d’école pour aller dans une plus « prestigieuse », je me retrouvais maintenant avec plus de questions sans réponses qu’avant d’être entrée à Rainbow. En plus, un professeur de sport devait, selon moi du moins, être plus à l’écoute de ses élèves que tout autre professeur. Pour certains élèves, le sport est une torture ; le professeur devrait aider les personnes en difficultés. Or, d’après ce que je voyais de notre professeur, il ne semblait pas du tout sur la même longueur d’ondes que moi.

Toutes fois, lorsqu’il s’approcha de moi et me plaça contre l’arbre, j’eus un instant d’hésitation, mais aussi de surprise. Il voulait surement me faire peur, voir même me faire paniquer. Ce qui semblait marcher quelques peu. Je n’aimais pas tellement le contact physique, surtout avec les garçons. Ou plutôt, dans cette école, étant donné que je ne connaissais encore personne. Et surtout, surtout, je n’étais pas habituée. C’est sans doute à cause de cela que ma force de caractère.

« Voulez-vous bien vous écarter ? »

Cette question sonnait plus comme une supplication, à mon grand désespoir. Ma fierté en prenait un sacré coup, je devais l’admettre. Il n’en est pas moins que je gardais mes yeux fixés sur ses prunelles, comme si par malheur je détournais les yeux avant lui, j’aurais perdu toute dignité, et me retrouverais à sa merci. En y regardant un peu mieux, c’était malheureusement sans doute le cas. Je n’ai pas la force pour rivaliser avec un vampire, et encore moins l’envie. Que pourrais-je bien faire pour me sortir de ce pétrin ? D’un autre côté, peut être que s’il voyait que je commençais à céder, il allait me laisser. Après tout, n’est-ce pas ce qu’il veut ? A moins qu’il souhaite seulement « jouer » avec sa nourriture.

Je sentais son souffle sur ma peau, puis ses lèvres sur mon cou. Lorsqu’il caressa mes cheveux, je sentis comme de petits picotements, là où sa peau touchait la mienne. Je me sentis honteuse pour cela. Honteuse aussi lorsqu’il baisa la beau de mon cou. Pourquoi fallait-il que ça arrive à moi ? Je ne pouvais même pas me dégager, ni même bouger. Il mettait tout son poids sur moi, me collant à l’arbre. Même si près du danger, je ne pus retenir mes paroles.

« Les règles sont aussi faites pour être détournées, Monsieur O’Shanahan. Car qui de tous les élèves présents sur l’académie respectent toutes les règles ? N’avez-vous pas vu de jeunes désobéir –à part moi, évidemment ? »

J’avais l’impression qu’il pouvait répéter ce petit monologue à tous les élèves, sans cesse. Que ce n’était pas que pour moi, ce que j’espérais aussi. Et puis, que savait-il de mes intentions ? De ce que je voudrais faire ensuite ? Même moi je ne le savais pas.

« Et que savez-vous de mes projets ? Vos belles paroles ne sont peut-être pas ce que je voudrais faire de ma future vie –ou de ma future mort. Qui vous dit que je veux attendre bien tranquilement qu’un vampire plonge ses crocs dans mes veines pour faire de moi l’une d’entre vous ?»

Lorsqu’il me délivra de son corps, je ne pus retenir le coup. Ma main est partie toute seule, allant non sans élan au préalable. Ma main me brûlait encore alors que je venais tout juste de comprendre ce que j’avais fait. Mais je ne pouvais pas revenir sur ce que j’avais fait, alors autant continuer sur ma lancée.

« J’espérerais ne plus vous revoir du tout, personnellement. Même si je sais très bien que cela reste impossible. Ce n’est pas le genre de choses qu’on peut s’amuser à faire subir à une fille, surtout venant de quelqu’un qui ne supporte pas qu’une jeune fille soit insolente devant lui. Montrez l’exemple un peu. »